De nombreux collègues nous adressent régulièrement des messages pour s’étonner de notre silence… Presque trois mois depuis le dernier article, voilà qui intrigue nombre de nos fidèles lecteurs.
Ce long moment de retenue éditoriale nous a semblé nécessaire pour prendre un peu de recul sur l’action de la nouvelle équipe ministérielle. Après un semestre d’annonces, de mise en place de groupes de travail, de réflexions, de concertations… nous souhaitions nous accorder le temps d'observer le nouveau ministre de l’Education nationale.
Que retenir de cette première année de travail ? D'abord le changement de ton à l'égard du monde enseignant. L’heure n’est plus au mépris. Des liens solides ont été noués avec les organisations syndicales. Des moyens supplémentaires ont été accordés conformément aux promesses électorales… D’importantes réformes sont en chantier : la formation des enseignants, les rythmes scolaires, la loi d’orientation, des négociations sur la revalorisation et la reconnaissance des métiers de l’enseignement… Bref, chacun devrait y trouver son bonheur.
Pourtant, la première grande réforme du quinquennat, dans le domaine de l’éducation, celle des rythmes scolaires, laisse un goût amer. Comme nous le laissions entendre dans nos derniers articles, elle est ratée. Est-ce un hasard si seuls 22% des élèves seront concernés par le retour à la semaine de 4,5 jours ?
Rappelons que, début décembre, le ministre espérait que « le plus grand nombre possible » de communes et « plus de la moitié des enfants de France » soient à la semaine de 4,5 jours à la rentrée 2013. L’échec est patent. Il l’est d’autant plus si l’on regarde attentivement la façon dont certaines communes mettront en place cette réforme. Les commentaires sont saisissants :
« Certains projets municipaux ne correspondent pas du tout au sens de la réforme. On a ainsi repéré qu’une commune allait proposer en tout et pour tout dix minutes de temps d’activités périscolaires dans la semaine, dix minutes ! À l’inverse, une autre va mettre en place dix à quinze heures de TAP, mais sans rien dedans : ce sera une garderie, ni plus ni moins ! On a aussi découvert que les enfants d’une autre commune auraient seulement deux heures de cours le mercredi : ça sert à quoi ?
C’est vraiment du grand n’importe quoi. Comme les enseignants déplorent de ne pas avoir été suffisamment concertés sur le sujet, les parents d’élèves ont un peu le même ressenti. »
Hélas, cette réforme insuffisamment préparée, en arrive à faire oublier les avancées indéniables : l’abandon de la RGPP, la création des centres de formation ou la création de postes…
Pour les directeurs d’école, le compte n’y est pas non plus. Loin s’en faut. Le fameux slogan « le changement, c’est maintenant » ne s’applique pas à eux.
Certes le ministre a promis de s’intéresser à leur sort…
« …il est vrai que la question des directeurs d’école doit être traitée et là, avec beaucoup de sérieux et dans un dialogue avec eux que j’ouvrirai d’ailleurs au 1er trimestre 2013. A la fois avec les associations de directeurs d’école mais aussi avec les syndicats. »
Les discussions ont été repoussées… Elles s’ouvriront à l'automne mais avec quel espoir pour les directeurs ?
Le président a changé. Le gouvernement et la majorité parlementaire aussi. Pourtant, rien de réellement nouveau pour les enseignants chargés d’école… Comme avant, on les flatte, on reconnaît leur rôle essentiel dans l’école, on estime qu’ils doivent être un peu plus aidés, mieux reconnus voire même par un statut… Mais Sœur Anne ne vois rien venir... Elle ne verra rien venir puisque Vincent Peillon s'est montré très clair sur le sujet… Non à un statut. « Nous n’en avons pas les moyens… »
Comme par le passé, de nombreux parlementaires ont interrogé le ministre sur la question du statut (cf les questions écrites au gouvernement). Chacun d’eux a reçu la même réponse langue de bois, fruit d’un rapide copié-collé…
Quand bien même le pays en aurait-il les moyens que l’obtention d’un statut ne serait pas plus évidente pour autant. Rappelons ce que nous écrivions le 25 octobre 2012 et qui est d’autant plus d’actualité que le ministre et les syndicats ne sont plus dans la lune de miel de l’après-élection.
« Il est à noter que Vincent Peillon est dans le même état d’esprit de soumission aux syndicats du primaire. Il en fait part, à plusieurs reprises, devant la commission des Affaires Culturelles lorsqu’il déclare notamment au sujet du statut : «…si vous vous risquez sur ce terrain, vous serez surpris des résultats… » ou encore « Et vous savez que lorsqu’on entre dans le débat de les rattacher à d’autres établissements, soit vous en créez, sois vous les rattachez à d’autres établissements, nous avons là des oppositions importantes. »
Le 22 mai, la Cour des Comptes a publié son rapport intitulé « Gérer les enseignants autrement ». Comme tous les auteurs de rapports similaires, elle s’attache à montrer le caractère singulier et inapproprié de la fonction de directeur d’école. Comme tous les rapports précédents, elle met en lumière l’absence de statut. Rien d’original en sorte.
Néanmoins, même si ce rapport ne manifeste aucune originalité à l’égard des directeurs d’école, il est utile car il permet de rappeler une nouvelle fois l’anachronisme de cette fonction dans l’école du XXIème siècle.
Ainsi, la Cour des Comptes souligne diverses difficultés inhérentes à l’absence de réel statut :
« Le positionnement ambigu de la hiérarchie et l’insuffisance de l’encadrement intermédiaire
L’émergence d’une véritable équipe pédagogique repose très largement sur le rôle d’impulsion et de pilotage de son chef. Or le statut du directeur d’école dans le premier degré ou du chef d’établissement dans le second ne leur confère pas la légitimité nécessaire pour assumer cette fonction. Si des fonctionnements en équipe très performants existent, comme la Cour a pu l’observer sur le terrain, ils sont dus à la configuration particulière dans les établissements concernés (capacité d’entraînement de la direction, bonne volonté des équipes, etc.) et adviennent en quelque sorte « malgré » le cadre de gestion. »
« La place des écoles et des établissements est mal définie et la légitimité des directeurs et chefs d’établissement mal reconnue. »
Son rapporteur évoque le « décalage croissant avec la réalité du métier d’enseignant »
« Ni les directeurs ou chefs d’établissement ni les équipes pédagogiques n’ont leur mot à dire dans les choix de recrutement des enseignants. Si un poste doit être supprimé, sa désignation n’est pas faite en fonction de l’intérêt de l’équipe, mais du poste de l’enseignant qui a la plus faible ancienneté dans l’établissement.
L’évaluation des enseignants demeure quant à elle individuelle dans sa très grande majorité.
Le statut du directeur d’école dans le premier degré ou du chef d’établissement dans le second degré ne suffit pas à leur conférer la légitimité pour assumer un rôle d’impulsion et de pilotage dans le travail d’équipe. Ils sont perçus comme des acteurs administratifs. Dans les deux cas, c’est l’inspecteur qui, pour de nombreux enseignants, reste la seule autorité légitime en raison de ses compétences pédagogiques ou disciplinaires.
Les chefs d’établissement n’entrent pas, sauf exception, dans la classe pour assister aux cours des enseignants de leur établissement. Dans le premier degré, le directeur d’école n’est pas le supérieur hiérarchique des enseignants.
Tel n’est pas le cas dans des pays étrangers étudiés par la Cour, qui, comme le Canada, ont accordé la priorité au développement de la dimension collective du métier, afin de rompre l’isolement de l’enseignant et d’améliorer la qualité de l’enseignement délivré aux élèves. »
Dans ce rapport, la Cour des Comptes fait également quelques recommandations et notamment :
« Redéfinir le métier enseignant en adaptant en particulier les obligations réglementaires de service :
Donner aux directeurs d’école et aux chefs d’établissement la responsabilité de moduler la répartition des obligations de service des enseignants en fonction des postes occupés et des besoins des élèves, sous la supervision des directeurs départementaux et des recteurs. »
Dès la parution de ce rapport, Vincent Peillon a publié un communiqué dans lequel il « répond » aux préoccupations exprimées dans ce texte.
« Favoriser la coordination pédagogique
La coordination pédagogique est un autre facteur clé de la réussite éducative. C’est pourquoi de nouveaux dispositifs vont venir renforcer la coopération au sein des équipes éducatives. C’est le cas des conseils "école-collège", qui rapprocheront les enseignants du premier et du second degrés, comme de la réforme des rythmes scolaires au primaire, ou des parcours d’éducation culturelle et artistique ou d’orientation et d’insertion.
Clarifier les missions et adapter les modes de rémunération des enseignants
Plusieurs chantiers sont déjà ouverts, dans le cadre du dialogue social, pour définir et reconnaître la pluralité des missions des enseignants : par exemple, dans le premier degré, l’évaluation pédagogique des élèves, le temps de concertation, de travail en équipe, de dialogue avec les parents ; quant aux enseignants du second degré, des dispositions viseront à mieux prendre en compte la diversité de leurs parcours professionnels dans la progression des carrières.
S’agissant de la modernisation du métier d’enseignant, le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, a annoncé l’ouverture de discussions à l’automne prochain, avec les organisations syndicales et l’ensemble de la communauté éducative, pour échanger sur l’ensemble de ces questions (métier, missions, carrières) afin d’améliorer la gestion et l’efficacité pédagogique de notre système éducatif. »
Dans aucun de ces paragraphes, le ministre n’évoque le rôle des directeurs d’école. Que ne l’a-t-il fait en souhaitant « favoriser la coordination pédagogique » ? Pourquoi ne l’a-t-il souligné en rappelant les discussions à venir « afin d’améliorer la gestion et l’efficacité pédagogique de notre système éducatif » ?
Un simple oubli ? Assurément non ! D’une part, Vincent Peillon veut éviter tout conflit avec les syndicats sur le sujet et d’autre part, il n’a pas les moyens de ses ambitions.
Deux raisons suffisantes pour convaincre les directeurs qu’il leur faudra lutter s’ils veulent obtenir le statut auquel ils tiennent tant…
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