Dans les discussions entre directeurs au hasard de réunions ou animations pédagogiques, plus personne ne parle de l’évolution du métier, du référentiel métier ou autres joyeusetés de ce genre… Chacun a admis que le changement espéré n’était qu’un leurre, un rêve ou une promesse à ranger au rayon des oubliettes.
Le travail des directeurs n’a nullement été facilité. Les demandes qui leur sont adressées sont de plus en plus nombreuses, le temps nécessaire à y répondre ne fait que croître et les tâches qui incombent aux directeurs de plus en plus prégnantes et chronophages. De surcroît, l’autoritarisme de la hiérarchie intermédiaire ne cesse de se renforcer. Jamais l’usure des directeurs n’a été aussi importante et leur découragement aussi fort.
Pierre Frackowiak dépeint ainsi la réalité du « changement » qui affecte le travail du directeur :
« Être directeur d’école a longtemps consisté à être un collègue parmi ses camarades, chargé de la vie administrative et pédagogique de l’école. Le directeur était responsable du lien entre l’école et ses partenaires, les parents, la hiérarchie de l’Education Nationale, la municipalité. Il disposait d’une liberté d’initiative certaine si l’école « tournait » et l’information circulait. Désormais, plus rien n’est comme avant. Le projet Référentiel métier des directeurs d’école primaire détaille les tâches multiples du directeur. Lisse, presque neutre, ce répertoire énumère la liste accablante des responsabilités du directeur comme si elle avait pour mission de décourager les meilleures volontés à s’engager dans ce sacerdoce. Comme si son objectif était d’amener à la conclusion que la fonction est devenue impossible dans un esprit de solidarité entre collègues unis sur un pied d’égalité et travaillant ensemble dans l’école pour le bien des enfants. Le pendant technologique de cette métamorphose professionnelle prend forme dans une bureautique bureaucratique kafkaïenne. La paperasse est virtualisée. Les archives sont essentiellement stockées sur disque dur. Les armoires débordant de BO poussiéreux ont cédé la place à l’ordinateur. Quelques archaïsmes persistent et surchargent le directeur d’un double travail comme la saisie des effectifs sur Base-élèves et la survivance du Registre-matricule. C’est tant mieux pour les anciens élèves en quête de certificat de scolarité car la mémoire informatique est aléatoire et ne peut se substituer complètement à la trace manuscrite. Clavier et écran trônent sur le bureau du directeur. La saisie de données à toujours une nouvelle excroissance. Base-élèves, évaluations CE-CM, B2I, Anglais, l’APER, le Projet d’école et ses avenants, les fiches-action, la sécurité, l’absentéisme, le signalement d’absences d’enseignants, et depuis peu, une partie de la formation continue par FOAD... La connexion Internet soumet chaque école, sur tout le territoire, à un contrôle permanent par l’administration, la hiérarchie. Pas à pas, les actes du directeur sont suivis par web-surveillance. Apparemment personne ne s’intéresse à ces faits incontestables et la gauche au pouvoir n’a rien fait pour changer les choses. Continuité assurée et même aggravée. Comment peut-on créer et entretenir un travail d’équipe, un climat d’école chaleureux dans un tel contexte ? De la souffrance ajoutée à la souffrance n’a jamais donné du bonheur. »
Et ce n’est pas la réponse ministérielle datée du 20 avril en réponse à l’interrogation du SNUipp qui risque de changer fondamentalement la donne…
« La tenue des groupes de travail initialement prévus entre novembre 2014 et mai 2015 a pu être perturbée par l’actualité très chargée de ces dernières semaines. Mais sachez que la volonté de simplification administrative pour faciliter les tâches des directeurs d’école reste l’une de mes priorités…
Je rappellerai lors de la prochaine réunion de recteurs d’académie l’importance de la tenue de ces groupes de travail au niveau départemental, afin que dès la rentrée 2015 un protocole simplifié leur soit proposé dans chaque académie.
Ces protocoles viendront compléter l’ensemble des mesures déjà engagées au niveau national qui concourent à la simplification du travail administratif et au renforcement de l’aide à la direction… Plus de 15 000 contrats sont actuellement affectés dans les écoles. Le guide pratique pour la direction de l’école primaire est disponible et constitue un ensemble de ressources en particulier en matière juridique. Enfin, les directeurs d’école pourront dès la rentrée prochaine bénéficier d’une aide de proximité des services académiques avec une assistance juridique de premier niveau organisée dans chaque académie… »
Faut-il donc méconnaître à ce point la réalité du travail du directeur d’école pour imaginer que de telles mesures vont améliorer son quotidien et l’aider à retrouver l’enthousiasme, l’envie, la force et le courage indispensables à son épanouissement dans sa fonction ! D’autant que la simplification administrative est une affaire engagée depuis plus de 25 ans par tous les gouvernements et que chacun peut constater qu’il y a loin des paroles aux actes…
Le référentiel métier a parfois été présenté comme un texte opposable. Opposable à qui ? Opposable à quoi ? « Lisse, presque neutre », comme le dit Pierre Frackowiak, il n’est rien d’autre qu’un « répertoire qui énumère la liste accablante des responsabilités du directeur comme si elle avait pour mission de décourager les meilleures volontés à s’engager dans ce sacerdoce ».
La simplification de Base-élèves est la bienvenue. Certes, elle permet maintenant d’imprimer diverses listes… La belle affaire ! Mais peut-elle être considérée comme une avancée majeure ?
Bref ! Au rythme des « avancées », 2006 puis 2014, bon nombre de directeurs se seront épuisés dans leur « fonction » avant qu’une véritable reconnaissance statutaire et une vraie revalorisation indiciaire ne leur soient accordées.