On se souvient tous de la célèbre formule de Martine Aubry à l’encontre de François Hollande pendant la campagne des primaires socialistes… C’était le 11 octobre 2011 au micro de Jean-Michel Aphatie sur RTL : « Ma grand-mère disait : ‘Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup’ ».
Cette formule ne pourrait-elle s’appliquer à la réforme des rythmes scolaires qui semble se mettre en place dans la précipitation, la confusion, l’improvisation et dans des conditions pour le moins floues ?
La méthode Peillon semble atteindre ses limites. Le ministre qui s’était fait le chantre de la concertation prend des décisions qui s’accommodent mal du principe qu’il défend par ailleurs dans toutes ses déclarations médiatiques.
On avait pu le constater lors de la publication du calendrier scolaire 2013-2014. On se souvient que le texte présenté devant le CSE (Conseil Supérieur de l’Education), instance consultative qui réunit les représentants des acteurs de l'éducation, avait été repoussé par 60 voix contre, 2 abstentions et 1 refus de vote. Ce qui n’a pas empêché le ministre de l’adopter officiellement. « L’intérêt de l’enfant » n’a pas pesé bien lourd face aux lobbies du tourisme… Le travail de lobbying aura eu raison de l’équilibre du calendrier scolaire.
Concernant les nouveaux rythmes scolaires, dans un premier temps, Vincent Peillon avait clamé sa volonté de les voir appliqués à la rentrée 2013. Après une levée de boucliers chez les élus, le 20 novembre, François Hollande, avait donné la possibilité d'« étaler » la réforme sur deux ans (2013 et 2014), et annoncé la création d'un « fonds d'amorçage » de 250 millions d'euros réservé au villes prêtes en 2013.
Très vite la crainte de voir la réforme « oubliée » en année électorale a conduit le gouvernement à revenir sur sa décision d’étalement sur deux ans. L’entrée des communes dans la réforme en 2013 est la règle. Jean-Marc Ayrault a donc arbitré en faveur des partisans du passage rapide aux 9 demi-journées. Une aide financière est prévue uniquement en 2013 pour inciter le maximum de communes à mettre en œuvre les nouveaux rythmes scolaires. Une exception, cependant, pour les communes les plus en difficulté qui opteraient pour une application en 2014.
Quel sera l’objet même de la réforme ? Réduire la journée de classe en assurant une demi-journée de cours le mercredi matin. C’est ce qu’écrit le Premier ministre à l’Association des Maires de France.
Dans sa lettre, le premier ministre rappelle le cadrage horaire qui sera imposé par le décret sur les rythmes scolaires. L'heure normale de sortie de l'école sera maintenue à 16h30, comme François Hollande l'avait souhaité. Mais les élèves n'auront que 5h et demie de cours par jour au maximum. Au final, il reste une heure d'activités périscolaires 4 jours par semaine dont 3 heures à la charge des communes (une heure étant prise par les enseignants).
« Où est passée l'ambitieuse réforme des rythmes scolaires et ses objectifs de réussite pour tous ?" demande le SNUipp-FSU. "Une journée pratiquement aussi longue, 5 heures 30 au lieu de 6 heures, une demi-journée supplémentaire le mercredi matin, un deuxième trimestre toujours aussi déséquilibré… », déplore le syndicat.
Le 17 décembre, dans un entretien à Libération, Vincent Peillon déclare :
« Je n’ai jamais parlé d’une demi-heure de moins seulement. Le minimum sera de trois quarts d’heure. Avec les projets territoriaux éducatifs, les gens discuteront localement. Si on veut une pause méridienne plus importante, ce sera possible ; si on veut, un après-midi, sortir à 15 h 30 ou à 15 heures parce qu’on a besoin d’une heure et demie pour aller visiter un musée ou pratiquer une activité sportive, on pourra le décider. Mais le minimum, c’est trois quarts d’heure en moins par jour. Certains syndicats demandent que la règle soit la même partout, que tout le monde sorte à 15 h 45. Je pense, au contraire, qu’on peut organiser les choses intelligemment. Là où les enseignants le souhaitent, là où ils peuvent travailler avec les éducateurs ou des bénévoles, on devra laisser davantage de souplesse. »
Lorsqu’on évoque la question de la compensation salariale des enseignants liée aux dépenses supplémentaires engendrée par la demi-journée supplémentaire (déplacements, garde d’enfants…), le ministre répond :
« Une discussion a lieu sur le temps de travail, avec les enseignants du primaire, liée à la réforme des rythmes scolaires. Aujourd’hui, ils doivent, en dehors des vingt-quatre heures de cours, trois heures hebdomadaires. Nous déciderons avec eux de l’utilisation de ces heures : s’investir sur la liaison école-collège, faire de la formation continue par Internet, etc. Enfin, les enseignants du primaire avancent le coût, notamment en transports et garde d’enfants, que représente leur retour à l’école le mercredi matin. Je négocie avec les syndicats pour apporter des réponses matérielles à cette question. Je suis totalement prêt à entrer dans une discussion avec les syndicats sur l’ensemble du métier. Si, en changeant le temps et les méthodes de travail, on répond à l’intérêt des élèves, alors on peut envisager des conséquences salariales. »
« Travailler plus pour gagner plus… » Cela sonne comme un air déjà entendu mais qui s’est révélé n’être qu’un slogan sans lendemain pour l’immense majorité des enseignants du primaire.
Si le ministre avance l’idée d’utiliser les 108 heures dans des activités de liaison CM2-collège ou de formation continue, Jean-Marc Ayrault semble s’orienter vers une autre utilisation d’une partie de ces heures… Dans son courrier aux maires, il déclare : « Les enseignants interviendront partiellement sur ce temps selon les négociations en cours sur la répartition des 108 heures dues annuellement par les professeurs des écoles. »
Bref ! Des propos qui ne manquent pas d’inquiéter… Le Premier ministre serait-il prêt à mettre des fonctionnaires d’Etat à disposition de la fonction publique territoriale ? Rien d’anormal si les enseignants sont rémunérés sous forme d’heures supplémentaires comme c’est déjà le cas pour les surveillances d’étude ou de cantine. Ce ne serait pas acceptable s’ils devaient assurer des missions pour le compte des communes dans le cadre des 108 heures qu’ils doivent à l’Education nationale.
Il appartient au Premier ministre de clarifier ses propos, aux syndicats de veiller au respect des statuts des différentes fonctions publiques et au ministre de l’Education nationale de dissiper le flou qui entoure le projet des rythmes scolaires tant dans leur forme que dans leur application.
Autre source d’inquiétude pour les enseignants et notamment pour les directeurs d’école : la mise en place pratique du dispositif qui sous-tend l’implication des collectivités territoriales dans la mise en œuvre de la réforme.
« Pour faciliter la mise en place, le premier ministre annonce "un assouplissement du taux d'encadrement en centre de loisirs" sous réserve de l'existence d'un projet éducatif territorial validé par les académies. Les Dasen devront aider les communes à élaborer leur projet éducatif » écrit encore Jean-Marc Ayrault.
Quid des directeurs d’école qui risquent de se voir imposer la responsabilité d’un dispositif auquel ils n’auront pas été associés ?
Une demi-heure… Trois quarts d’heure minimum… de cours en moins par jour ? L’utilisation des 108 heures ? L’élaboration du projet éducatif local en concertation avec les directeurs d’école, principaux responsables de sa mise en œuvre…
Cela fait beaucoup de zones floues...
Que nos dirigeants n’oublient pas les sages paroles de la grand-mère de Martine Aubry : « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup »…