L'un de nos collègues, Hervé Blas, directeur dans le Nord, analyse les difficultés de son métier dans la revue "La classe maternelle" n° 158 d'avril 2007 (rubrique "métiers de l'école").
"Chaque année, ce sont plus de 4000 postes des directeurs d'écoles maternelles et élémentaires qui restent vacants. Pourquoi une telle désaffection pour ce poste à responsabilités ?
Les directeurs en place évoquent le manquent de moyens, le système de décharge désuet, l'absence de reconnaissance, la valorisation financière anecdotique par rapport à la charge de travail ?
Laissons Hervé Blas, directeur de l'école primaire Jules Ferry , à Aulnay-les-Valenciennes (Nord), nous parler de son quotidien, de son amour du métier, mais aussi de cette fatigue intellectuelle qui s'insinue avec les années.
«Il manque aux directeurs d'écoles maternelles ou élémentaires un statut tant juridique que financier, une véritable reconnaissance, une liberté qui leur permette d'exercer pleinement leur métier, tout en restant proche des élèves. Malgré ma décharge, lorsque je suis en classe, il m'arrive d'être sollicité pour une affaire. Je suis donc obligé de laisser mes élèves et de m'en occuper sur le champ, j'en ai parfois honte ?
Bien entendu, les enfants travaillent pendant mon absence, car j'essaie avant tout de ne pas les pénaliser. Cette ambivalence entraîne une fatigue morale et intellectuelle. Tout simplement parce que je demeure en toutes circonstances le directeur, Alors que je ne suis que professeur des écoles que quelques jours par semaine. Pourtant j'aime profondément mon métier. »
Hervé Blas est directeur de l'école primaire Jules Ferry à Autnay-les-Valenciennes (59). Il a été titularisé comme instituteur le 1er Janvier 1979 et a effectué la totalité de sa carrière dans la région.
«J'ai commencé comme directeur dans une petite école rurale, il y a 16 ans. [...] Actuellement, je suis à mi-temps, c'est à dire 2 jours par semaine et un samedi sur 2. Un professeur des écoles travaillant à mi-temps me remplace donc les mardi et vendredi. Elle ne remplace pas d'autres collègues, c'est une chance que certains directeurs n'ont pas. On a ainsi su et pu s'arranger et ne pas trop pénaliser les enfants. En outre, elle a quelques années d'expériences. Cette situation nous permet après avis de notre inspecteur de circonscription, de permuter nos jours de classe lors de mes absences pour réunions officielles.»
Une meilleure lisibilité de la fonction.
«Comme tous les directeurs, je m'occupe à la fois de charges administratives et pédagogiques. Par exemple, préparer les PPRE ou les PPS pour les élèves en difficulté ou rédiger le Projet de l?école car même si celui-ci est discuter en Conseil des Maîtres de l'école, il ne faut pas se leurrer, je le rédige.
Mon rôle est aussi d'effectuer la jonction entre le primaire et le collège ou la SEGPA en compagnie de l'Inspecteur de la circonscription, d'entretenir des relations avec les associations locales car nous ne vivons pas en autarcie, de travailler conjointement avec la Mairie lors d'aménagement de l'école (comme la médiathèque), de recevoir les parents de manière amicale ou officielle.
C'est peut-être une impression, mais avec les années, je trouve qu'on m'en demande de plus en plus administrativement. Il faut sans cesse remonter des informations, des bilans sociaux...etc.
Nous sommes dans une époque « parapluie », où chacun doit être blindé. De surcroît je suis sans cesse sollicité.
Aux projets d'école ou de classe viennent automatiquement se greffer d'autres demandes officielles ; participer à telle ou telle semaine thématique, à tel ou tel rallye de calcul mental. On n'en aurait presque plus assez de temps organiser nos idées ou participer au projet que nous avons choisi, que ce soit la semaine du goût ou l'opération internationale « Match aux écoles ».
Il faut donc effectuer des compromis entre les demandes officielles et celles des professeurs, afin de laisser à ces derniers l'opportunité de réaliser leurs projets.
En outre, nous ne pouvons pas vivre que de projets, aussi grandioses soient-ils, nous nous devons aussi, quoiqu?en disent certains, d'apprendre à lire, à écrire à compter ».
Ces perpétuelles sollicitations et demandes, cette ambivalence, comme le suggérait en préambule Hervé Blas, fatiguent.
«Parfois j'aimerais mieux être dans ma classe et simplement m'occuper de mes élèves. Mais attention, je dis cela très égoïstement, j'aurais ma classe et je ne m'occuperais pas des autres. Pourtant, cette année, j'ai une chance phénoménale : je suis aidé depuis la rentrée par un emploi vie scolaire (EVS) compétent qui sait faire le tri, reconnaître l?importance des demandes.
Soyons toutefois clair, c'est ce mélange « directeur/professeur » qui épuise à la longue. Je ne sais pas si nos responsables administratifs ou syndicaux s'en rendent comptent ou préfèrent le nier.
J'aimerais, par exemple, mais c'est sûrement un rêve, en tant que directeur déchargé, pouvoir me déplacer. Etre libre par exemple d'aller au musée Matisse ou au CRDP pour aider les collègues à préparer un projet de classe. En avoir la possibilité durant le temps solaire et non en dehors. Un véritable statut juridique nous permettrait peut-être de le faire. J'aimerais aussi pouvoir me rendre à la mairie durant le temps scolaire et être juridiquement protégé s'il m'arrivait un accident. Ce qui n'est pas du tout le cas actuellement".
Un véritable statut juridique et financier.
«Mon travail tant de directeur que d'enseignant me plait, je le répète. Mais il me faudrait pouvoir exercer pleinement mes fonctions de directeurs tout en conservant un temps devant les élèves. Je pense que j'en serais bien plus performant. Je resterais ainsi en contact avec les enfants, ce qui est important, quelques heures par semaine, afin, pourquoi pas, de les préparer au B2i... une matière qui me tient particulièrement à coeur. J'ai concilié pendant plusieurs années mes fonctions de directeur avec celles de conseiller technique aux technologies de l'information et de la communication (TIC).
Aujourd'hui, j'ai parfois l'impression de travailler au sein d'un système datant du XIXe siècle, corporatiste à souhait. Et j'en veux aux syndicats de ne pas voir cela. Beaucoup de directeurs pensent que concilier leur travail de directeur avec un temps devant les élèves (et non pas en classe) serait le schéma le plus juste, le plus adapté. Sans pour autant oublier de nous octroyer ce statut juridique et financier que nous n'avons pas. La plupart des gens s'imaginent que le directeur d'école à un réel pouvoir, mais ce n'est pas le cas.
Nous n'avons que notre « charisme » pour nous imposer devant les élèves, les parents et les autres enseignants.
De mon côté, j'ai de la chance car, à Aulnay c'est relativement calme. De plus, je suis en place depuis quelques années et cela aide.
Précisons que ce statut n'aurait pour objectif de transformer le directeur d'école en chef, mais plutôt de lui laisser plus de liberté d'action.»
Hervé Blas ne se veut pas amer, juste réaliste à l'instar de la plupart des directeurs d'école maternelles et élémentaires qui régulièrement soulèvent les mêmes questions :
> Pourquoi une telle différence entre les directeurs du primaire et ceux du secondaire ?
> Pourquoi les avantages financiers des directeurs d'école sont-ils si maigres, malgré la toute dernière revalorisation ?
> Pourquoi ne sont-ils pas reconnus juridiquement ?
Des interrogations on ne peut plus justifiées, qui restent pourtant sans réponses ? si on écoute parler le directeur de l'école primaire Jules Ferry. Un directeur si semblable aux autres".
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De cette longue interview nous retiendrons deux points essentiels :
L'impossible cumul des fonctions enseignant / directeur
Le premier point concerne la qualité de vie du directeur et sa difficulté à se dédoubler pour assurer sa double mission. l'on comprend à quel point il est impossible de concilier les deux métiers que cumule Hervé Blas : enseignant et directeur.
Comment être efficace devant ses élèves quand, à tout moment, il faut résoudre un problème urgent, administratif ou simplement matériel ?
Comment être disponible pour des parents en détresse quand la classe vous attend ?
L'image des syndicats
Le second point est relatif à l'image des syndicats et à la perception qu'en ont la plupart des directeurs.
"Aujourd'hui, j'ai parfois l'impression de travailler au sein d'un système datant du XIXe siècle, corporatiste à souhait. Et j'en veux aux syndicats de ne pas voir cela", déclare Hervé Blas.
En disant cela, notre collègue ne se distingue pas de la majorité des Français. Une étude récente (janvier 2006) réalisée par TNS-SOFRES pour l'Association Dialogues sur l'image des syndicats nous apporte des enseignements intéressants.
--> Les 2/3 des Français comme des salariés (dans le secteur public comme dans le privé) estiment que les syndicats ont une approche trop idéologique.
--> Corrélativement, un salarié sur deux (notamment dans le secteur privé, mais le public n'est pas très loin de ce pourcentage), estime à la fois que les syndicats comprennent mal les réalités économiques et qu'ils comprennent mal les vrais besoins des salariés.
--> Pour les 3/4 des salariés (74%), il y a trop de concurrence entre les syndicats, alors que pour 60%, « les syndicats se ressemblent, et on ne voit pas trop ce qui les distingue ». Près de 80% des salariés (79%) estiment que pour défendre les salariés français, il vaudrait mieux avoir 1, 2, ou 3 syndicats nationaux comme ailleurs en Europe, que 7 ou 8 comme aujourd'hui en France. Un point de vue partagé par tous les Français, actifs comme inactifs, quels que soient leur classe d'âge ou leur statut professionnel.
--> Cette étude les Français montrent une forte attente de changement des règles du jeu syndical pour accroître leur efficacité.
--> Les syndicats ne constituent plus le recours privilégié des salariés pour défendre leurs intérêts. Pragmatiques, les salariés mobilisent selon leurs enjeux les stratégies qui leur semblent les plus efficaces. Et les syndicats, s'ils ne sont pas absents de ces stratégies, ne sont plus au premier plan.
Voilà qui permet de mieux comprendre la mise en place de coordinations parallèlement aux syndicats. C'est aussi la raison qui conduit les directeurs à se tourner vers le GDID et à se retrouver dans ses idées.