Plusieurs collègues reviennent sur les obligations de service du directeur en cas de grève. Est-il tenu ou non d’être présent aux heures d’ouverture et de sortie des élèves. Il semble même que les syndicats divergent sur l’interprétation des textes.
Pour ces raisons, il nous a semblé utile de porter à la connaissance de tous nos collègues les derniers développements et notamment les plus récents qui découlent de la loi SMA.
Rappel : Conformément à ses engagements, le Président de la République promulgue la LOI n° 2008-790 du 20 août 2008 instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire.
De nombreux maires ne peuvent ou ne veulent pas respecter cette loi SMA. Les communes réfractaires doivent en répondre devant le tribunal administratif. Des sanctions tombent en cas de récidive.
En février 2008, les parlementaires constatent que « la loi du 20 août 2008 instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire s'est révélée, à l'usage, très difficile à appliquer. C'est en particulier le cas dans les petites communes, qui sont les plus nombreuses en France ».
Ils décident donc de compléter L. 133-3 du code de l'éducation par deux alinéas ainsi rédigés :
« L'obligation de service d'accueil n'est pas opposable aux communes de moins de 2 000 habitants.
« En outre, elle n'est opposable dans les autres communes que sous réserve du respect, par le directeur de chaque établissement ou celui qui le remplace, de ses obligations de service en ce qui concerne l'accueil des élèves. »
Cette proposition de loi a pour objet d'exclure du dispositif de service d'accueil les communes de moins de 2 000 habitants.
Ce faisant, dans l’exposé des motifs, les sénateurs évoquent (à tort, nous le verrons plus loin) : « L'obligation d'accueil par la commune ne peut pas se substituer à celle qui s'impose au directeur de chaque établissement. En effet, depuis la loi Jules FERRY, le directeur de l'école doit être présent et accueillir les élèves même s'il est gréviste. Aussi, la présente proposition de loi impose la présence du directeur d'établissement ou de son représentant dans l'école ».
Le ministre de l’Education nationale X. Darcos prend l’engagement de faire le bilan de la loi après une période de rodage.
La période récente ayant été marquée par plusieurs grèves, les élus ont pu observer son application sur le terrain. Le 26 mars 2009, un débat s’ouvre au Sénat. L’opposition parlementaire en profite pour déposer des amendements afin d’obtenir la suppression de la dernière modification concernant les communes de moins de 2000 habitants. Il faut savoir que les sénateurs sont souvent issus de communes rurales.
Ce 26 mars 2009, la séance est présidée par M. Roger ROMANI, Sénateur de Paris (UMP). Les débats sont intéressants comme souvent au Sénat.
Comme il était prévisible, l’amendement n° 1 demandant l’abrogation de la loi a été repoussé. La suite, cependant, est très intéressante car le débat est axé sur le second alinéa qui fait référence aux obligations du directeur.
Nous avons choisi de publier les extraits les plus instructifs concernant nos responsabilités en cas de grève. Les surprises ne sont pas absentes…
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M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Domeizel et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer le dernier alinéa de l’article L 133-3 du code de l’éducation
« En outre, elle [l'obligation de service d'accueil] n'est opposable dans les autres communes que sous réserve du respect, par le directeur de chaque établissement ou celui qui le remplace, de ses obligations de service en ce qui concerne l'accueil des élèves. »
La parole est à M. Yannick Bodin Sénateur de la Seine-et-Marne (PS).
M. Yannick Bodin. Le second alinéa du texte proposé par l’article unique conditionne l’obligation d’organiser le service d’accueil dans les communes de plus de 2 000 habitants au « respect, par le directeur de chaque établissement ou de celui qui le remplace, de ses obligations de service en ce qui concerne l’accueil des élèves ».
La lecture de l’exposé des motifs de la proposition de loi, supposé nous éclairer sur ces « obligations de service », précise : « Depuis la loi Jules Ferry, le directeur de l’école doit être présent et accueillir les élèves même s’il est gréviste. Aussi, la présente proposition de loi impose la présence du directeur d’établissement ou de son représentant dans l’école. »
Cette fameuse obligation de présence d’un directeur gréviste dans son école ne repose, à ma connaissance, sur aucune base légale. J’ai bien relu non pas « la », mais les lois Jules Ferry, et je me suis aperçu qu’aucune n’abordait ce problème : ni les deux lois du 16 juin 1881, l’une relative aux titres de capacité de l’enseignement primaire, l’autre établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire public, ni celle du 28 mars 1882, qui rend l’école obligatoire, ni celle du 30 octobre 1886, qui porte sur l’organisation de l’enseignement primaire.
Le seul texte réglementant ce rôle du directeur d’école était la circulaire n° 81-141 du 26 mars 1981, qui a été abrogée par la circulaire n° 81-222 du 5 juin 1981, d’après le Bulletin officiel de l’éducation nationale n° 23 du 11 juin 1981. Le décret relatif aux fonctions, à la nomination et à l’avancement des maîtres-directeurs du 2 février 1987, qui remettait en cause, dans les faits, le droit de grève des directeurs d’écoles, a également été abrogé par le décret du 24 février 1989.
Je rappelle que le directeur d’une école maternelle ou élémentaire n’est pas chef d’établissement. Lorsqu’il est en grève, il n’est aucunement tenu de rester à l’école pour s’assurer que tout va bien : il est en grève !
L’organisation du SMA, qu’il s’agisse du dispositif légal ou de la circulaire d’application du 26 août 2008, ne modifie en rien ces règles. Le directeur est seulement tenu d’informer le maire et les parents d’élèves de la situation de grève et de l’éventuelle fermeture de l’école.
Il est donc tout à fait inopportun de laisser croire, par le biais d’un alinéa dans une loi visant précisément à limiter l’obligation de service d’accueil les jours de grève, que les directeurs d’école grévistes devraient suppléer ou seconder l’autorité municipale, en garantissant eux-mêmes l’accueil des enfants. Cette disposition serait, certes, d’une grande aide pour de nombreux élus, je le comprends bien, mais nous nous y opposons, au nom du respect du droit de grève des directeurs d’école.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Richert, rapporteur. La commission étant défavorable à l’ensemble de la proposition de loi, elle est donc bien évidemment défavorable à cet amendement, ce qui n’ôte rien à la pertinence des remarques que M. Yannick Bodin vient de formuler sur l’alinéa ici visé.
Selon moi, il s’agit surtout d’un amendement d’appel destiné à M. le ministre, pour lui permettre de préciser un certain nombre d’éléments.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Darcos, ministre. Bien entendu, le Gouvernement est défavorable à un amendement portant sur un texte auquel il est globalement défavorable.
Sans vouloir être désobligeant à l’égard des auteurs de cette proposition de loi, je dois dire que cet article unique est mal rédigé dans la mesure où il évoque des « directeurs d’établissement », alors que les directeurs d’école n’ont pas cette qualité, ainsi que M. Bodin l’a fait observer.
Monsieur Bodin, vous avez fait référence au décret du 24 février 1989, qui définit les missions des directeurs d’école et qui fait autorité en la matière. Les directeurs d’école sont statutairement des professeurs des écoles, à la différence des principaux de collège ou des proviseurs de lycée qui sont, pour leur part, des chefs d’établissement. Les directeurs d’école disposent donc pleinement du droit de grève.
Vouloir les en priver par la réquisition ou par tout autre moyen, en les obligeant à assurer un accueil des élèves serait non seulement injuste et inopportun, mais surtout parfaitement inconstitutionnel. Je ne souscris donc pas à cette idée.
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Résultats du scrutin : l’amendement n° 2 demandant la suppression du second alinéa est repoussé de 2 voix. C’est dire que les Sénateurs, y compris ceux de la majorité ayant adopté cette loi, sont ébranlés par la justesse de l’intervention de M. Bodin et de X. Darcos. Naturellement, des élus se déjugent rarement surtout dans les quelques mois qui suivent la promulgation d’une loi…
Ce qui est regrettable, c’est que personne n’ait pris la peine de vérifier que l’exposé des motifs des Sénateurs était entaché de nullité comme il est démontré par M. Yannick Bodin. Ils auraient pu saisir le Conseil Constitutionnel et faire retoquer la loi.
Il est rarissime qu’un ministre se désolidarise de l’écriture d’un texte de loi voté par sa majorité. Il est encore plus rare qu’il déclare « injuste et inopportun mais surtout parfaitement inconstitutionnel » le fait de se saisir de cette loi pour contraindre le directeur à assurer un accueil des élèves. Dont acte.
Xavier Darcos a été clair et précis sur les droits du directeur. Les syndicats ont maintenant tous les éléments pour adopter une position commune et la plus claire possible sur la compréhension de ce texte.