L'Association Française des Administrateurs de l'Education (AFAE) organise son colloque annuel les 26, 27 et 28 mars 2010 à Bordeaux.
Fondée en 1978, l’AFAE se définit comme un espace d’échanges, de libre expression et de proposition et rassemble, en dehors de tout dogmatisme et de toute préoccupation politique ou syndicale, des personnels qui exercent des fonctions de responsabilité à tous les échelons du système éducatif, tous ceux qui, par leur action, leur engagement ou leurs recherches, veulent concourir à la qualité, à l’efficacité et au renouveau du service public d’éducation.
Ses objectifs :
- confronter les expériences entre administrateurs,
- établir un dialogue constructif entre praticiens, chercheurs et décideurs,
- apporter, par une réflexion originale, un éclairage neuf sur les pratiques éducatives et administratives et d’anticiper les évolutions en cours,
- identifier les besoins du système éducatif en matière d’administration, de gestion et d’animation, et de proposer des réponses concrètes d’application.
- développer des échanges fructueux avec ses homologues étrangers.
Le thème de ce XXXIIème colloque sera « Relation entre équipe de direction et équipe enseignante »
Ce colloque recouvre l’ensemble du système scolaire et examine plutôt la situation du second degré, il est vrai. Néanmoins, nous avons décidé de nous pencher sur ses travaux qui concernent également le premier degré puisqu’une réflexion concerne directement la transformation des écoles en « établissements publics ».
En préambule, l’AFAE pose la question de la réussite des élèves et de l’efficacité du système éducatif.
« Equipe de direction, équipe enseignante : à partir de la question des représentations et des attentes que les différents acteurs ont les uns des autres et au-delà des tensions entre les sphères pédagogiques et administratives, la réflexion se dirigera vers la recherche des conditions d’une action commune des équipes pour une meilleure efficacité du système éducatif et pour le développement de relations humaines de qualité. Car si l’objectif affirmé de part et d’autre est de permettre la réussite de tous les élèves, il reste à s’interroger sur les moyens d’y parvenir ensemble.
Traiter de la relation entre personnels de direction et corps enseignant revient à se placer au carrefour de deux malaises profonds de personnes censées coopérer pour relever un défi de tous les contraires. Représentant de l’État, le chef d’établissement a pour mission de susciter et de gérer une démocratie locale. Chef hiérarchique d’un fonctionnaire lié par un contrat de droit public, il n’en maîtrise ni le recrutement ni le statut. Ancien enseignant (ou recruté dans le système éducatif), il lui est demandé de se structurer à partir de son expérience mais tout autant de s’en débarrasser ».
Pour Boumédiene SID-LAKHDAR, enseignant au lycée d’Alembert à Paris, « le chef d’établissement doit être garant d’une distance hiérarchique compatible avec son rôle de direction et d’impartialité. L’affectif introduit fatalement la suspicion du contraire, c’est inévitable.
La situation est d’autant plus compliquée qu’elle met en jeu des facteurs perturbants car :
Les enseignants sont, ne le cachons pas, historiquement et massivement rattachés à une “communauté” idéologiquement marquée. Cette dernière, surtout après la fin des années soixante, s’est toujours mal accordée avec les notions de commandement, de direction, d’autorité. Et c’est parmi ”les leurs” que sont désignés les personnels de direction à qui l’on attribue de plus en plus de pouvoirs. »
Il reste naturellement à définir ce qu’on entend par « équipe »
« Justement : de quelles équipes parle-t-on ? Si le principe du singulier (de l’unité ?) d’une équipe de direction semble acquis a priori, encore faudra-t-il s’appliquer à en décrire les facteurs de cohésion et à en délimiter les contours : dans le premier degré, qui assume réellement la direction en dehors de l’IEN ? »
Sur ce sujet, nous retiendrons la réflexion de Ghislaine MATRINGE IGEN
La question des rapports entre la direction et les équipes pédagogiques des établissements scolaires fait depuis longtemps l’objet de débats en France. Les relations entre les dirigeants des établissements et les enseignants ont sensiblement évolué depuis une vingtaine d’années. L’anglicisme "leadership" permet-il d’éclairer les nouveaux rapports de l’équipe de direction avec les équipes pédagogiques ? Pour bien cadrer le débat, il est nécessaire de distinguer l’école dans le premier et le second degré.
Les écoles primaires sont dirigées par des directeurs d’école qui ont gardé leur statut d’enseignant. Selon la taille de l’école et le nombre de classes, ils peuvent continuer à enseigner ou être déchargés, en partie ou en totalité, de leur enseignement devant les élèves. Il résulte de ce positionnement qu’ils ont gardé, avec leur statut de professeur, une forme de légitimité pédagogique "naturelle" sur leurs collègues. Seul un enseignant peut en effet être directeur. Leur rôle pédagogique est évident et prioritaire, même si les tâches d’administration et de gestion les occupent de plus en plus, mais leur autorité est toute relative sur leurs pairs.
La situation est autre dans le second degré. Jusqu’en 1988, les chefs d’établissement en France étaient des enseignants qu’on détachait dans ces fonctions après une sélection qui reposait sur un dossier de candidature et une série d’entretiens avec la hiérarchie. A partir de 1988, leur mode de recrutement change en même temps qu’on crée un nouveau statut spécifique, celui des personnels de direction.
La création d’un statut particulier a présenté de nombreux avantages, notamment en termes de carrière et de reconnaissance sociale et institutionnelle, mais, en même temps, les personnels de direction se sont éloignés de leur corps d’origine et cette rupture est vécue encore souvent par les enseignants comme une forme de trahison. Il faut donc que les chefs d’établissement reconquièrent littéralement leur légitimité pédagogique sur le terrain. »
Catherine MOISAN, IGEN, Directrice des affaires scolaires de la Ville de Paris de 2001 à 2009, s’intéresse particulièrement à la situation statutaire des écoles primaires et pose la problématique suivante :
« La transformation du mode de gestion du premier degré impose-t-elle la création d’établissements publics ?
1 – La France, l’Irlande et Chypre sont aujourd’hui les seuls pays européens où les écoles n’ont aucune autonomie et où aucune expérimentation n’est lancée dans ce domaine.
Alors que les EPLE existent depuis maintenant 25 ans dans le second degré, quelles sont les raisons qui font obstacle à toute avancée dans l’autonomie des écoles ?
En premier lieu la tradition de l’école communale correspondait à une école rurale, gérée par une petite commune, tradition qui perdure alors que plus de 80% de la population française vit en milieu urbain.
En second lieu, la taille des écoles représente un obstacle réel à une reproduction à l’identique de structures telles que les EPLE (66% des écoles publiques n’ont pas plus de 5 classes et 7% seulement en ont plus de 10).
En troisième lieu, un obstacle majeur provient des refus successifs de la part des organisations syndicales de toute évolution de la hiérarchie des enseignants du premier degré (échec célèbre du statut de maître directeur).
Enfin, le système français persiste dans son mode de gouvernance "top down", ce qui nuit gravement à toute adaptation à des situations locales diversifiées et à toute expérimentation.
2 – Quelles sont les conséquences de cette absence d’autonomie ?
Du point de vue d’une grande ville comme Paris, la déperdition d’énergie est considérable. L’achat par la Ville des fournitures scolaires sans interlocuteurs statutairement responsables financièrement conduit à une inadéquation de moyens et à un gâchis fréquent (caves d’écoles encombrées de fournitures inutilisées et listes d’achats à payer par les familles).
A chaque fois que la nécessité d’un financement de proximité se pose dans les écoles (emplois jeunes, RAR, programmes européens), nous inventons des "usines à gaz" qui passent souvent par un EPLE support, ou bien, nous assistons à des modes de financement dont la régularité pose problème (coopératives scolaires, associations diverses).
Les directeurs d’école, ne pouvant exercer aucune responsabilité officielle, sont infantilisés. Tout repose sur leur charisme personnel en matière d’animation de leurs équipes. Ils sont souvent débordés par les tâches administratives, pour lesquelles ils sont peu formés.
Le responsable pédagogique, l’inspecteur, est souvent lointain avec un nombre important d’enseignants dans sa circonscription alors que les compétences pédagogiques en matière d’accompagnement et d’évaluation du directeur d’école ne sont pas utilisées. Et pourtant, l’obstacle de la "non légitimité" dans la discipline enseignée n’existe pas, contrairement au cas des chefs d’établissement du second degré.
3 – Oui, il faut une autonomie avec un chef d’établissement dans le premier degré. Mais gardons nous bien de ne pas reproduire sur toutes les écoles de France le même schéma.
Plusieurs scénarii ont été envisagés au cours du temps pour la structure de cette autonomie : l’école (avec le problème des petites structures), la circonscription (souvent trop grande), le collège (mais le secteur correspond souvent à plusieurs écoles). Les dernières tentatives (projet de loi sur les EPEP) tentaient, sans pour autant aboutir, de résoudre le problème des réseaux d’écoles rurales et ne présentait pas de solution opérationnelle pour les véritables sujets d’autonomie et de responsabilité (financière et pédagogique). De plus, le décret d’application n’a jamais été publié.
Alors pourquoi ne pas expérimenter plusieurs types de solutions ?
A titre d’exemple, dans une grande ville comme Paris, il est tout à fait possible d’envisager la création d’établissements publics regroupant plusieurs écoles dans le même bâtiment ou dans des locaux proches (les "groupes scolaires"). Ceux ci représentent facilement 35 classes, soit plus de 700 élèves et une cinquantaine d’adultes tout compris. Il est clair que cette solution n’est pas adaptée aux réseaux ruraux pour lesquels il faudra faire preuve d’imagination.
La méthode expérimentale permettrait également d’examiner et de répondre à deux questions sensibles :
- Les compétences (autres que financières) du chef de ce nouvel établissement : ses responsabilités pédagogiques, son rôle d’encadrement et les conséquences sur les missions des inspecteurs.
- Les coûts induits de ces créations, et les équilibres de financement entre l’État et les communes notamment pour des emplois de personnels administratifs nécessaires au fonctionnement.
En conclusion, plutôt que d’essayer de résoudre le problème des structures des écoles rurales par la création d’établissements publics, inversons la problématique : nous avons besoin d’autonomie et de responsabilité dans le premier degré, inventons et expérimentons des solutions diverses et ÉVALUONS les résultats ! »
Comme nous le voyons, les questions sont multiples et les réponses souvent complexes. L’AFAE semble disposée à mener une réflexion ouverte et complète sur le sujet. C’est donc avec intérêt que nous en suivrons les travaux.