La semaine aura été marquée par le discours du Président de la République le 22 juin à Versailles et le lendemain par le remplacement de Xavier Darcos par Luc Chatel.
Devant les parlementaires, Nicolas Sarkozy n’a fait qu’effleurer le domaine de l’Education en citant la réforme du lycée. Par rapport aux discours précédents, le propos est un peu court. Les syndicats n’ont l’affirment : le gouvernement ne considère plus l’Education nationale comme une priorité.
Pour le Sgen-CFDT, "la seule véritable annonce pour les secteurs de l'éducation, la jeunesse et la recherche, c'est le maintien de l'objectif comptable de non remplacement des fonctionnaires partant à la retraite. Cette décision contredit dans les actes la volonté d'investir sur l'Éducation que prétend porter le discours".
Les réactions de l’Unsa vont dans le même sens : « l’Ecole n’est plus une priorité : elle devra faire plus avec des moyens diminués. Le président de la République a parlé de changement : l’Ecole n’en connaîtra pas. Sa situation, par les choix budgétaires imposés, ne peut que se détériorer. Le prochain budget l’annonce déjà : c’est une mauvaise nouvelle pour l’avenir ».
Il est vrai que les inquiétudes des syndicats sont confortées par les déclarations de Xavier Darcos dans un entretien à La Tribune :
« L'Éducation nationale a le premier budget de la nation, avec 60,4 milliards d'euros de crédit en 2010, et 1,2 million de fonctionnaires », souligne-t-il. « Cette dimension nous donne une responsabilité particulière lorsqu'il s'agit de participer à la maîtrise des dépenses publiques. C'est pourquoi j'ai proposé de ne pas renouveler 16.000 emplois en 2010, conformément à la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. »
Sur l'ensemble d'une carrière, un poste d'enseignant représente un coût cumulé de 1 million d'euros. Les 16.000 postes supprimés constituent donc près de 16 milliards d'euros de dépenses en moins sur quarante ans, souligne-t-on rue de Grenelle. Précisément, "il s'agit de 600 postes d'agents administratifs et de 14.000 postes d'enseignants stagiaires affectés en Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) ou équivalent pour l'enseignement privé (à hauteur de 1.400)".
Ces propos, tenus le jour du remaniement ministériel apparaissent aux yeux des commentateurs comme une ultime provocation de Xavier Darcos. Luc Chatel, nouvellement nommé ministre de l’Education, se serait bien passé d’un tel message d’accueil.
Le nouveau locataire de la rue de Grenelle ne peut espérer compter sur la bienveillance des syndicats enseignants. Ces derniers l’ont tout de suite fait savoir.
Le Snes parle de "provocation", évoque "une dégradation de la formation" puisque les emplois supprimés correspondent aux stages IUFM et calcule que "les stagiaires dans le second degré assurent aujourd’hui 8 heures de cours hebdomadaires, soit l’équivalent de 4.500 emplois". Le SNES appellera les personnels à se mobiliser dès la rentrée pour construire un mouvement d’ampleur contre ce projet de budget et recherchera en ce sens la plus large unité syndicale possible.
Le Snuipp s'indigne : "Comment comprendre que la formation professionnelle des enseignants soit réduite à la portion congrue, que les lieux de formation que sont les IUFM soient remis en cause, que la formation en alternance risque d’être réduite à un simple compagnonnage au moment où le métier d’enseignant requiert une plus grande professionnalité pour favoriser la réussite de tous les élèves ? Comment comprendre que des lauréats des concours 2010 puissent être responsables de classes sans avoir jamais effectué de stages en responsabilité dans leur cursus ?"
L'Unsa relève les contradictions des discours présidentiels. "L'investissement éducatif devrait être une priorité : il aura été, de budget en budget, abandonné. Les budgets traduisent la réalité des convictions".
Pour le Sgen "le ministre change, les suppressions de postes s'aggravent. Plus que jamais le Sgen-CFDT sera mobilisé dès la rentrée prochaine pour obtenir les conditions nécessaires aux réformes de progrès social qui s'imposent pour l'École et les personnels de l'Éducation. »
Reste la personnalité de Luc Chatel dont la nomination a créé la surprise. A l’inverse de son prédécesseur, le nouveau ministre n’est pas un homme du sérail. Il ne s’est d’ailleurs jamais exprimé sur l’éducation.
Sa nomination comme ministre de l’Education nationale et le maintien de sa mission de porte-parole du gouvernement sont interprétées comme la récompense d’une fidélité sans faille au service de Nicolas Sarkozy.
Il a sans aucun doute bénéficié également du peu d’attrait de ce poste très risqué dans lequel « on est grillé au bout de deux ans », selon Richard Descoings, le très médiatique directeur de Sciences-Po Paris.
Pour l’instant, Luc Chatel n’est connu du grand public que pour ses interventions ponctuées de « euh… euh… » et de longs silences… lors de points de presse en tant que porte-parole du gouvernement largement rapportés par Canal+ dans son « Grand journal ».
Une autre vidéo a fait le tour d’Internet en février 2008. On y voyait Luc Chatel, Secrétaire d’Etat à la consommation, brandissant la revue « 60 millions de consommateurs », et semblant apprendre par ce média l’envolée des prix…
« Comme vous, j’ai été extrêmement choqué par les résultats de l’enquête de 60 millions de consommateurs. J’ai été choqué parce que évidemment je fais mes courses comme vous, à Chaumont, et je me suis rendu compte que les prix augmentent. » Une image pas très valorisante.
La désignation de Luc Chatel a tout pour surprendre. Son parcours, sa méconnaissance des sujets et du monde de l’éducation… font que sa nomination peut être interprétée comme le fait que l'Éducation Nationale n'est plus une priorité pour le gouvernement.
Impressionné par Nicolas Sarkozy, formé à son école et s’inspirant dans sa ville de la stratégie présidentielle, Luc Chatel est considéré comme un « proche » du Chef de l’Etat.
De fait, beaucoup considèrent déjà que la politique éducative n'est plus décidée rue de Grenelle mais Faubourg Saint Honoré.... Et la feuille de route est déjà connue : 16.000 suppressions de postes à l'Education en 2010.
D'aucuns estiment pourtant que l'élu de province a les compétences requises pour gérer les dossiers délicats. Il a su mener à bien le plan automobile pour tenter de sortir ce secteur du marasme économique et œuvrer pour une sortie de crise chez Heuliez, l'équipementier automobile des Deux-Sèvres en redressement judiciaire, et Continental, le fabriquant de pneumatiques de Clairoix. A son actif, également, la gestion du dossier délicat de La Poste, qui s'apprête à devenir une société anonyme malgré la crise.
Le passage de l'Industrie à l'Education, deux mondes où le dialogue avec les syndicats est primordial mais souvent tendu, devrait donc être plus facile. Lors de la cérémonie de passation de pouvoir ce mercredi le tout nouveau ministre de l'Education nationale a affirmé qu'il prendrait «le temps de l'écoute».
Il ne faudra pas attendre bien longtemps pour savoir si le gouvernement considère l’éducation comme une priorité nationale, selon les promesses du candidat Sarkozy durant sa campagne présidentielle. Les premières décisions de Luc Chatel seront décisives de ce point de vue.