L’année 2008 aura été marquée, dans le domaine de l’Education nationale, par une rafale d’annonces et de réformes qui ont souvent pris de court les enseignants, bien sûr, mais aussi les organisations syndicales.
Cours du samedi supprimés, nouveaux programmes, aide personnalisée, suppressions de postes, suppression de RASED, propos sur les enseignants de maternelle, annonce de la création d’EPEP, loi SMA, réforme du lycée…etc. Bref, de quoi donner le tournis à l’enseignant le plus serein !
Les médias ont abondamment commenté ce tourbillon de réformes. Pour les uns, la cohérence est évidente. Pour les autres, il ne s’agit que d’un fatras de mesures prises sans réflexion…
A coup sûr, ce que l’on retiendra le plus des mesures Darcos, ce sont les suppressions de postes par milliers (25 000 en 2 ans).
Posant le postulat que personne ne souhaite affaiblir les résultats scolaires de la jeunesse de son pays, tout un chacun se pose alors la question suivante : « Les dépenses de la France pour l’éducation sont-elles à ce point supérieures à celles des pays voisins comparables et les résultats scolaires de ses enfants sont-ils jugés à ce point excellents qu’on puisse réduire fortement les coûts sans nuire à la qualité de l’enseignement ? »
Sur le plan des dépenses, la réponse est fournie par l’OCDE :
L’Education nationale française dépense 5430 euros en moyenne par élève en primaire et secondaire, les Etats-Unis et la Suisse (8580 euros), les pays scandinaves, l’Autriche, le Canada (6000 à 6400). La moyenne de l’OCDE est 5343.
Pour le primaire, la France dépense 3575 euros, les pays européens 3861. Pour les collèges, 5434 contre 4648. Pour les Lycées, la France, avec 7150 contre 5362, est à égalité avec l’Allemagne, au quatrième rang européen, n’étant dépassée que par le Luxembourg (12 368), la Suisse (10 723) et la Norvège (8576).
La France consacre au primaire et secondaire (BTS compris), 4,2% de son PIB, plus que la moyenne de l’OCDE (3,9%). Mais elle est parmi les pays dont la part scolarisable de la population (5-14 ans) est la plus élevée. La part du privé, 0,3%, est aussi à la moyenne, elle est nettement plus élevée en Suisse, Grande Bretagne et Allemagne.
Les 5-14 ans suivent, au total, 7500 heures de cours contre une moyenne OCDE de 6800; l’écart est surtout important dans le secondaire.
La France compte 19,4 élèves par enseignant dans le primaire (moyenne OCDE 14,1).
On voit bien que là où l’effort français est bien moindre, c’est dans le primaire. Dans l’ensemble, les temps d’enseignement imposés à nos enfants de 7 à 14 ans, sont parmi les plus élevés. Quant à la taille des classes, c’est encore le primaire, qui est moins bien loti en France qu'à l’étranger.
Quant aux résultats scolaires, ils n’ont rien d’exceptionnel. Selon l’enquête Pirls, les résultats sont décevants.
Selon l’enquête Pisa, La France qui était 10ème en 2003 descend au 17ème rang, si l'on compare les mêmes pays en 2003 et 2006.
Alors parviendra-t-on à convaincre les enseignants de la nécessité d’une telle réforme ? Aussi, avons-nous essayé d’y voir plus clair et tenté de dénouer le fil rouge qui a guidé Xavier Darcos tout au long de cette année.
L’un de nos membres s’est transformé en petite souris et a ainsi pu assister, incognito, aux réunions préparatoires qui ont abouti à ces mesures.
Voici son récit…
7 mai 2007 : Nicolas Sarkozy est élu Président de la République.
10 juillet 2007, le Premier Ministre lance le chantier de la "révision générale des politiques publiques" (RGPP). De nombreux pays de l’OCDE ont déjà commencé à réviser leurs politiques publiques. En clair, il s’agit de « rationaliser les dépenses publiques » pour réduire les déficits afin de satisfaire les exigences de Bruxelles. Le moyen le plus efficace, d’ailleurs énoncé par le candidat Sarkozy durant la campagne présidentielle, est de réduire le nombre de fonctionnaires d’Etat. Les consignes données par l’Elysée sont claires : ne pas remplacer un fonctionnaire partant à la retraite sur deux !
Automne 2007 : Réunion au « Château » (l’Elysée pour les non initiés) du G7 (les 7 chouchous du Président à savoir Xavier Bertrand, Brice Hortefeux, Luc Chatel, Laurent Wauquiez, Xavier Darcos, Eric Woerth, Nadine Morano).
Le Président - Vous savez que dans quelques mois, je vais assurer la présidence de l’Union Européenne. Je veux que la France montre l’exemple et qu’elle diminue fortement ses déficits publics. Nous allons donc appliquer la RGPP. Je veux que chaque ministère me présente un plan d’économies digne de ce nom. Les premières décisions sont prises.
J’ai demandé à Rachida Dati de fermer environ 200 tribunaux : un TGI (Tribunal de Grande Instance) sur 8 et un TI (Tribunal d’Instance) sur 2.
Hervé Morin va poursuivre la réduction des effectifs dans l’Armée. De 2009 à 2014, nous supprimerons 54 000 emplois civils et militaires ainsi que de nombreuses unités (régiments).
J’ai demandé à Roselyne Bachelot de travailler sur la carte hospitalière : création des Agences régionales de santé, fusion d’établissements au sein de « communautés hospitalières publiques », fermeture d’hôpitaux de proximité, de services de chirurgie et de maternité ;
Bernard Kouchner a pour mission l’allègement du réseau diplomatique français : transformation d’une trentaine d’ambassades en postes de présence diplomatique simple à format allégé et simplifié, poursuite de la fermeture des consulats, notamment en Europe ;
Michèle Alliot-Marie a reçu sa feuille de route. Elle doit réformer la sécurité publique : suppression de 9500 postes en 3 ans (6000 dans la police et 3500 dans la gendarmerie).
Elle est également chargée de voir quelles sous-préfectures il est possible de fermer. Nous allons aussi entreprendre une réforme des services déconcentrés de l’Etat afin de réduire les grandes directions départementales ».
S’adressant au ministre de l’Education nationale, le Président déclare : « Toi, Xavier, tu as décidé le non-remplacement d’un enseignant partant à la retraite sur 2 (environ 25 000 sur la période 2008-2009). C’est un bon début, Xavier, mais c’est nettement insuffisant. Je te rappelle que tu es à la tête du plus gros ministère. C’est sur toi que nous comptons le plus pour réduire les déficits… ».
Et le Président de conclure : « Voilà, messieurs, votre mission. Elle est impérative. Bousculez vos services, s’il le faut, mais qu’ils fassent preuve d’imagination. Je veux que les premiers résultats soient connus des Européens avant ma prise de fonction à la tête de l’Europe. Et surtout, n’oubliez pas de bien vendre vos réformes ! »
De retour dans son ministère, Xavier Darcos réunit ses principaux conseillers techniques ainsi que le conseiller à la communication de son Cabinet.
« Messieurs, je sors d’une réunion au Château. Le Président est furieux. Les mesures que nous avons déjà programmées sont insuffisantes à ses yeux. Je vous laisse une semaine pour m’en présenter de plus ambitieuses. Quant à vous, monsieur le conseiller à la communication, votre rôle consistera à « habiller » ces réformes pour mieux les faire passer aux yeux de l’opinion et des syndicats.
Vous devez tous faire preuve d’imagination et surtout, ayez toujours présentes à l’esprit les 4 lettres R.G.P.P. »
Une semaine plus tard, Xavier Darcos réunit ses conseillers...
X. Darcos - Je vous écoute, messieurs.
Le conseiller chargé des collèges - Je propose une refonte des collèges. Nous pourrions fermer progressivement les petits collèges de moins de 200 élèves en zone rurale, et de moins de 250 en zone urbaine.
Le conseiller à la communication - Pour faire passer cette mesure, vous évoquez tout simplement la mutualisation des moyens dans les départements… On fera faire 2 ou 3 rapports qui montreront la nécessité d’aller dans ce sens.
Le conseiller à l’enseignement scolaire - Monsieur le ministre, nous avons une vaste réforme à vous proposer. Une réforme qui comporte plusieurs volets mais, vous le verrez, tout s’enchaîne de façon très logique.
D’abord, supprimer les cours du samedi matin. Moins d’heures pour les élèves, on se rapproche de la moyenne européenne. Les enseignants conservent leur volume horaire. L’opinion ne comprendrait pas qu’ils travaillent moins.
Ensuite, devons revoir les programmes. Il convient naturellement de les alléger pour répondre à la réduction de l’horaire scolaire.
Le conseiller à la communication - Nous en profitons pour revenir aux fondamentaux. C’est ce que notre électorat attend de nous : des méthodes traditionnelles qui ont fait leurs preuves.
Le conseiller à l’enseignement spécialisé - dans la même logique de réduire l’échec scolaire, nous pourrions demander aux enseignants de prendre en charge les enfants en difficulté, par petits groupes, à raison de 2 heures par semaine, après les cours, le midi ou le soir...
X. Darcos - je vous rappelle, messieurs, que nous devons suivre le fil rouge de la RGPP. C’est la mission que nous confie le Président.
Le conseiller à la communication - Justement, monsieur le ministre… Nous sommes dans le droit fil des obligations de la RGPP… Puisque les enseignants ont 2 heures pour assurer une aide personnalisée, nous pouvons supprimer les RASED qui n’ont plus lieu d’être… Nous économisons 3000 postes par an pendant 3 ans…
X. Darcos - mais c’est génial, messieurs. Vous avez d’autres idées de cet acabit ?
Le conseiller à l’enseignement préscolaire - Nous pouvons probablement récupérer des postes en première année de maternelle. En quelques années, le taux d’accueil des élèves âgés de deux ans est passé de plus d’un tiers à un seulement un cinquième (20,9 % à la rentrée de 2007). Je propose de poursuivre cette évolution.
X. Darcos - Les Français sont attachés à leur maternelle…
Le conseiller à la communication - C’est exact. Aussi, j’ai pensé à un argument qui peut faire mouche. Il vous suffirait de déclarer : "Est-ce qu’il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits de l’Etat, que nous fassions passer des concours à bac + 5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ?"
X. Darcos - Très juste. Merci. Quoi d’autre ?
Le conseiller chargé des regroupements d’écoles - Pour ma part, j’ai envisagé de relancer les EPEP. En regroupant les établissements, on peut espérer diviser le nombre d’écoles par 2 environ…
X. Darcos - Sujet sensible. Les syndicats s’y sont toujours opposés…
Le conseiller à la communication - Pour éviter qu’on ne prenne cette mesure pour une provocation, nous commanderons là aussi quelques rapports qui iront dans le sens de ceux dont nous disposons déjà. Je suggère que nous demandions à quelques parlementaires de déposer une proposition de loi sur le sujet. Ainsi, ce serait un souhait des représentants du peuple et les syndicats auraient plus de mal à combattre cette réforme…
Le conseiller aux relations avec les associations - Il est possible de grappiller quelques centaines de postes dans les associations qui gravitent autour de l’école notamment en réintégrant les enseignants mis-à-disposition…
X. Darcos - Vous semblez faire fi des réactions syndicales… Les syndicats vont organiser grèves et manifestations.
Le conseiller à la communication - Le risque n’est pas mince, en effet. Aussi, monsieur le ministre, avons-nous pensé qu’il serait temps de créer un service minimum d’accueil dans les écoles. Mais il faut le faire par la loi : la loi SMA. Nous aurons mis les syndicats sous l’éteignoir le jour où le Président pourra affirmer : "désormais, quand il y a une grève, personne ne s'en aperçoit"…
X. Darcos - Tout cela est excellent, messieurs. Vous avez fait preuve d’imagination pour coller aux impératifs de la RGPP et je vous en félicite. Nous allons nous arrêter là aujourd’hui. Je dois maintenant assister à la réunion du G7. Le Président compte faire le point sur l’avancement de la RGPP…
Je vous laisse une semaine pour me proposer des réformes sur le lycée. Mais attention toujours de la même veine... N’oubliez pas de suivre le fil rouge de la RGPP. Il vous faut travailler à la fois sur la réduction d’heures de cours aux élèves et sur la dotation globale horaire. Il y a là un gisement de postes à récupérer. Mais attention : comme pour le primaire, essayez de trouver une cohérence plausible dans ce que vous me proposerez. Il ne faut pas que nos réformes donnent l’impression de n’exister que pour supprimer des postes… ».
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Notre petite souris nous a dit : « Toute ressemblance avec des faits existants ou ayant existé serait fortuite ou involontaire... »
Néanmoins, d’après le Canard Enchaîné du 22 octobre 2008, Xavier Darcos aurait confié à ses collaborateurs :
« La plupart des mesures que je prends servent surtout d’habillage aux suppressions de postes. »
Le ministre a tellement collé aux impératifs de la RGPP, en suivant le fil conducteur de réduction des déficits qu’il en a oublié que ce fil rouge pouvait ressembler à un élastique…
Or, chacun le sait, quand on tire trop sur un élastique, il arrive qu’il casse…