Il n’est pas de semaine sans que soit abordé le problème de l’école et notamment sa « gouvernance » ou son « statut ». Récemment, l’Institut Montaigne a publié un rapport intitulé « vaincre l’échec à l’école primaire » dans lequel il se déclare favorable aux EPEP et à un vrai statut du directeur.
Interrogé sur cette publication, Luc Chatel, ministre de l'Éducation nationale, a déclaré que « ces constats ne sont pas vraiment nouveaux ». « Ce qui est nouveau, c'est la réponse du gouvernement, la mobilisation dans les réformes engagées et les sujets sur lesquels nous travaillons pour les prochains mois ». Les nouveaux programmes de primaire lancés en 2008 et « recentrés sur les fondamentaux », le lancement en juin d'une « grande conférence nationale sur les rythmes scolaires » et les travaux engagés par le député Frédéric Reiss, à la demande du Premier ministre, sur « le mode de gouvernance de nos écoles» sont, selon lui, « très clairement des réponses à l'interpellation de l'Institut Montaigne ». Luc Chatel dit avoir des « échanges » avec l'Institut Montaigne dont il « partage » les constats.
Rappelons qu’en mars dernier, le Premier ministre François Fillon a confié à Frédéric Reiss, député UMP du Bas-Rhin, une mission sur le thème des directions d’écoles.
« Ma mission est aujourd’hui de réfléchir à un statut pour les directeurs et pour les écoles. J’ai six mois pour le faire, sachant que je dois rendre un rapport d’étape en juin » avait expliqué le député.
En novembre 2008, Frédéric Reiss, Benoist Apparu et Guy Geoffroy avaient déposé une proposition de loi « relative à la création des établissements publics d’enseignement primaire ».
Frédéric Reiss se dit convaincu que « l’autorité et le rayonnement pédagogique d’un directeur d’école, d’un principal de collège ou d’un proviseur de lycée jouent pour beaucoup dans l’amélioration des résultats obtenus par un établissement ».
Frédéric Reiss consulte les organisations syndicales et diverses associations d’élus et de représentants du monde de l’éducation. Le 5 mai, il a reçu successivement le SNE-CSEN ainsi que le SCENRAC-CFTC Education.
Communiqué du SNE :
Le SNE-CSEN a rappelé au député qu'il revendique depuis maintenant près de 30 ans la création d'un statut pour tous les directeurs. Pour le SNE-CSEN, en effet, seul un statut assorti d'une reconnaissance financière substantielle, d'une formation spécifique sérieuse, de temps de décharge, rendra attractive la fonction qui pourra devenir une réelle promotion dans une carrière de professeur d'école.
Le SNE-CSEN a également demandé la pérennisation des postes d'EVS pour l'aide administrative aux directeurs et leur généralisation.
En ce qui concerne le statut des écoles et la création d'établissements, le SNE-CSEN a rappelé que cette évolution ne pouvait se faire qu'à moyen voire long terme et sous certaines conditions ne laissant aucun directeur sur le bord du chemin. Pour le SNE-CSEN le préalable à toute évolution de notre système reste le statut du directeur.
Communiqué du SCENRAC CFTC Education
La CFTC Education Nationale a proposé qu’au sein de l’école, le directeur, de même qu’un « manager », soit doté d’une véritable autonomie pour insuffler une dynamique et agir avec son équipe dans le respect de chaque personne.
Cette autonomie lui permettrait d’élaborer un projet associant l’équipe pédagogique
- projet fondé sur les réalités de l’école et non sur des déclinaisons d’orientations venues de plus haut,
- projet axé sur l’amélioration des résultats des élèves.
Ce projet deviendrait la véritable identité de l’école
Grâce à cette reconnaissance dans le cadre de toutes les tâches, le directeur peut devenir le correspondant unique pour tous les partenaires (parents, collectivités territoriales…) lui permettant, entre autres, de mettre en cohérence le projet de l’école et le projet éducatif conçu par les collectivités.
Pour la CFTC Education Nationale, les différentes structures proposées par le ministère (EPEP, écoles du socle commun) n’apportent de solutions ni aux difficultés actuelles de l’école ni aux attentes des directeurs.
Considérant que depuis plus de 20 ans, les termes mêmes de « statut et de corps de directeurs d’Ecole » ont servi de repoussoir tant pour l’Administration que pour d’autres, la CFTC EDUCATION NATIONALE, loin de les abandonner, a proposé que pour le moins, et en première étape vers le statut, soit créé un EMPLOI FONCTIONNEL DE DIRECTION D’ECOLE (auquel auraient immédiatement accès les directeurs actuellement en poste) pour arriver enfin à une reconnaissance de ce métier.
Ce qui nous surprend dans le communiqué de la CFTC Education, c’est le recul qui semble s’amorcer dans sa stratégie pour soutenir les directeurs d’école. Jusqu’à présent, ce syndicat affirmait son ambition d’un statut et d’un corps de directeurs du premier degré. Il évoque maintenant un « emploi fonctionnel de direction d’école ».
En décembre 2006, le ministre Gilles de Robien, reprenant les conclusions d’un groupe de travail sur la direction d’école, envisageait de doter les directeurs d’un emploi fonctionnel. Nous avions alors expliqué à nos lecteurs ce qu’est un emploi fonctionnel.
Qu’est-ce qu’un statut d'emploi ?
A la différence d'un statut de corps (inspecteurs, personnels de direction...), le statut d'emploi n'est pas un statut particulier. Alors que les membres d'un corps sont recrutés par concours, examen professionnel ou par voie d'inscription sur liste d'aptitude, la désignation des fonctionnaires chargés d'occuper un emploi relève de la responsabilité des chefs de service. Ainsi, si les IA et IEN appartiennent au corps d'inspection, l'IA-DSDEN (Inspecteur d'Académie - Directeur des Services Départementaux de l'Education Nationale) occupe un emploi fonctionnel.
Un statut d'emploi peut également être créé pour corriger une anomalie et revaloriser une fonction. Il est loisible à l'autorité administrative de définir des conditions de nomination dans certains emplois et de doter ces emplois d'indices propres pour tenir compte de caractéristiques particulières les distinguant des emplois auxquels les titulaires des grades correspondants ont normalement vocation à accéder.
La détermination de ces règles revient à créer un "statut d'emploi", auquel les fonctionnaires titulaires accèdent par voie de détachement.
Cette assimilation ne doit pas cependant abuser : un statut d'emploi est une mesure d'organisation du service et non un "statut particulier" au sens des articles 8 et 15 de la loi n° 84.16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. Dès lors et sauf si le statut d'emploi comporte une disposition ayant pour objet ou pour effet de modifier une règle fixée par un statut particulier, il n'y a pas lieu de suivre les formalités de consultation applicables aux projets de décret portant statut de corps.
La seule consultation obligatoire pour un statut d'emploi est celle du comité technique paritaire compétent pour l'organisation de l'administration où sera placé l'emploi considéré.
Il est d'usage d'instituer les statuts d'emploi par décret en Conseil d'Etat.
Le décret portant statut d'emploi définit :
- le contenu fonctionnel de l'emploi, c'est-à-dire la mission qui lui est rattachée
- le nombre d'échelons et la durée du passage dans les échelons
- les grades des corps dont les titulaires ont vocation à occuper l'emploi
- les modalités de nomination et de classement dans l'emploi ainsi que, le cas échéant, les limites de durée d'occupation de l'emploi
Le classement indiciaire de l'emploi est effectué par une modification de l'annexe du décret n° 48-1108 du 10 juillet 1948.
Quelles peuvent être les incidences d’un emploi fonctionnel ? Est-ce une réelle avancée ? Quels intérêts pour les directeurs, les syndicats et le gouvernement ?
En tout état de cause, il ne s'agit nullement d'intégrer les directeurs dans un "corps de direction". Le statut d'emploi est très répandu dans la fonction publique. Il permet, d'une part, de reconnaître une fonction tout en la maintenant rattachée à son corps d'origine et d'autre part, de lui affecter une grille indiciaire spécifique.
1) Quel intérêt pour le gouvernement ?
Le ministère a pris conscience du malaise de la profession. Il lui est cependant difficile d’aller plus loin sur le plan financier ; il n'en a pas les moyens. Créer un véritable statut, nous pensons qu'il le souhaiterait. Mais il se heurte à deux écueils majeurs : le coût financier et l'opposition ferme et définitive des principaux partenaires sociaux. Il lui reste donc le statut d'emploi. Cette solution lui offre l'avantage de ne pas coûter cher et de surcroît de montrer sa volonté de mieux reconnaître la fonction de directeur.
2) Quel intérêt pour les syndicats ?
Après les quelques protestations d'usage, les syndicats, même les plus rétifs au statut du directeur, pourraient accepter un emploi fonctionnel. Ils seraient, probablement, soulagés de s'en tirer à si bon compte : ils auraient échappé à la création d'un véritable statut de directeur ! Ils pourraient même négocier quelques "avancées sonnantes et trébuchantes à engranger" et ainsi apparaître comme les vrais défenseurs des directeurs. Bref, tout bénéfice pour les ardents opposants à un statut de directeur. D’autant plus que, ne changeant pas de corps, les directeurs continueraient d'avoir les mêmes représentants issus des élections professionnelles communes à l'ensemble des enseignants pour "défendre" leurs intérêts...
3) Quelle incidence pour les directrices et les directeurs d'école ?
Les changements seraient peu ou pas perceptibles. Les directeurs continueraient d'être affectés dans le corps des professeurs des écoles. Certes, ils ne seraient plus "chargés de direction" mais officiellement nommés sur un emploi de directeur. De fait, ils le sont déjà actuellement. Le statut d'emploi permettrait d'institutionnaliser la fonction. Faut-il craindre la limite de durée d'occupation de l'emploi ? En théorie, oui. En pratique, non. En effet, le décret portant statut d'emploi définit [...] le cas échéant la limite de durée d'occupation de l'emploi. Imagine-t-on sérieusement un gouvernement se priver de directeurs alors qu'il en manque déjà plusieurs milliers chaque année ? Il appartiendrait aux négociateurs d'y veiller.
Une grille indiciaire spécifique serait définie lors de la création de ce statut d'emploi. Un "geste financier" symbolique l’accompagnerait, n'en doutons pas, ne serait-ce que pour mieux faire accepter ce statut. Attention ! Ne nous berçons pas d'illusions quant aux largesses budgétaires à attendre...
Pas de quoi se réjouir ! Le statut d'emploi ne correspond ni aux attentes, ni aux demandes des directeurs. Leurs conditions de travail ne s'en trouveraient pas vraiment améliorées pour autant. Les mêmes difficultés quotidiennes seraient toujours présentes.
Serait-il un remède à la « gouvernance impossible » et « l’absence de pilotage » de l’école primaire, deux insuffisances dénoncées par l’Institut Montaigne ?
Certes, en étant optimiste, on peut se dire, comme la CFTC Education que c’est « une première étape vers le statut ». Mais, l’expérience nous conduit à observer que le provisoire a une fâcheuse tendance à durer dans l’Education nationale et que le temps semble souvent faire une longue pause à chaque nouveau palier… Hélas, les étapes ne s’enchaînent pas au rythme souhaité par les directeurs.
Autant dire que ce "statut d'emploi" serait plus proche du "statu quo" que du véritable "statut" réclamé par 93 % des directeurs...