Nous avons reçu un courrier de notre collègue Froment que nos fidèles lecteurs connaissent bien pour la pertinence de ses connaissances économiques dont il nous gratifie régulièrement.
Le texte qu’il nous adresse aujourd’hui est entièrement consacré aux EPEP. Nous l’accueillons volontiers dans nos colonnes tout en précisant que ses propos ne sont que le reflet d’une analyse toute personnelle.
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Depuis quelques mois et notamment depuis l’annonce d’une proposition de loi portant création d’EPEP, le débat a changé de nature. Les discussions souvent animées sur les sites et forums Internet tournent davantage autour des EPEP que du statut de directeur.
Parmi les collègues favorables aux EPEP, on n’en trouve guère qui se déclarent totalement satisfaits de la proposition déposée par les parlementaires UMP. Plusieurs points sont soulevés et notamment la présidence du conseil d’administration qui pourrait être confiée au maire. D’autres reproches sont également adressés aux auteurs de ce texte. Pour simplifier le débat, nous les passerons sous silence aujourd’hui.
A l’intérieur du débat, tenants et opposants d’un statut d’établissement s’affrontent. Les premiers font une contre-proposition qui reprend généralement la thèse du GDID. Les seconds manifestent une hostilité de principe que l’on retrouve essentiellement dans les instances syndicales.
Toujours pour simplifier le propos de ce jour, je ne m’attacherai qu’à mettre en parallèle les deux projets : celui des députés et celui du GDID (c’est ainsi que nous l’appellerons pour raison de commodité).
Si tous deux dressent le même constat : absence de personnalité morale et juridique, d’autonomie financière, de moyens, faible attractivité de la fonction, décharges d’enseignement insuffisantes…etc., la philosophie de création d’établissement public diverge fortement entre les deux projets.
Schématiquement (avec le risque d’être forcément réducteur…), disons que, dans son essence même, le projet du GDID est un instrument offrant de meilleures conditions de travail aux directeurs dans le cadre d’une reconnaissance effective de la fonction (définition des missions, décharge de cours, amélioration indiciaire…). L’EPE (appellation GDID) disposerait d’une réelle autonomie budgétaire et doterait les écoles d’une plus grande égalité de traitement entre communes. Le directeur serait président du CA…
L’objectif de ce projet est double : améliorer le fonctionnement de l’école et les résultats des élèves.
La logique de la proposition de loi présentée par les trois parlementaires est différente. Certes, nous l’avons dit, le constat de départ est le même. Mais l’objectif visé est tout autre.
Il suffit de se référer aux propos tenus par M. Frédéric REISS, député, auteur de la proposition de loi portant création d’EPEP lorsqu’il a présenté un avis devant l’Assemblée Nationale le 16 octobre 2008.
« L’une des conséquences pratiques de l’absence d’autonomie de l’école est que la gestion des emplois de vie scolaire du primaire est assurée par les établissements du second degré, dotés de la personnalité juridique nécessaire ».
[…]
« Le présent avis se nourrit de la conviction du rapporteur que « l’effet chef d’établissement » sur la réussite des élèves d’une école primaire, d’un collège ou d’un lycée est une réalité ».
« Si l’on veut que les unités pédagogiques de l’enseignement primaire et secondaire puissent tenir les engagements fixés par le Parlement, de nouvelles responsabilités doivent être confiées aux directeurs d’école et aux chefs d’établissement ».
[…]
« Le directeur d’école n’a pas, contrairement aux chefs d’établissement du secondaire, la qualité de représentant de l’État. Il est placé sous l’autorité de l’inspecteur de la « circonscription scolaire ».
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« Le directeur n’est qu’un enseignant parmi les autres qui ne bénéficie que d’un statut de fonction ne lui donnant aucun pouvoir hiérarchique sur ses collègues instituteurs ou professeurs des écoles. Il n’intervient ni dans l’évaluation ni dans aucun acte de gestion des enseignants, lesquels relèvent de l’IEN. Ainsi, la notation est du ressort de l’IEN, qui vient inspecter un enseignant en moyenne tous les trois à cinq ans. D’ailleurs, c’est aux IEN qu’il revient, théoriquement du moins, de veiller à la mise en œuvre, dans les écoles primaires, des politiques éducatives définies par l’État, en jouant non seulement un rôle de « contrôleur », mais aussi et surtout un rôle de conseil en matière pédagogique. Or cette dernière fonction, qui est capitale, est loin d’être assurée par les inspecteurs, faute de temps et d’effectifs : environ 1 300 inspecteurs ont la responsabilité de 53 000 écoles publiques et de plus de 300 000 enseignants… Ce constat a fait dire à certains interlocuteurs du rapporteur que l’école primaire ne pourra assumer son rôle de premier vecteur de l’égalité des chances que si l’on donne aux directeurs d’école, qui côtoient les enseignants au quotidien, un statut ou si l’on augmente, de manière significative, le nombre d’inspecteurs ».
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« Il faut bien constater que l’école primaire souffre d’un manque d’esprit collectif que le directeur, qui n’a ni responsabilités ni pouvoirs réels à l’égard de ses collègues enseignants, peine à insuffler.
Certes, il existe un organe de concertation et de coordination pédagogique qui aurait pu faire évoluer les mentalités : le conseil des maîtres […]. Mais, en réalité, celui-ci fonctionne comme une enceinte de « négociations diplomatiques » qui tend à ralentir la mise en œuvre de solutions pédagogiques innovantes et adaptées aux difficultés constatées ».
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« Mais il y a plus grave encore. L’absence de statut consacrant l’autorité hiérarchique du directeur d’école est l’une des explications de l’échec de la mise en place des cycles d’apprentissage au niveau de l’enseignement primaire.
Qui d’autre que le directeur aurait dû assurer la déclinaison des temps d’apprentissage et du service d’enseignement en fonction des besoins des classes et de tel ou tel groupe d’élèves ?
Il n’en a rien été, car les directeurs d’école ne disposent pas des moyens leur permettant de faire entrer dans les faits une politique qui a été définie il y a plus de 15 ans ».
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« Pour autant, la création d’un statut est-elle de nature à régler le problème, crucial, de la contribution d’une direction renforcée à l’amélioration des performances de l’école primaire ?
C’est sous cet angle qu’il faut examiner « la plus-value » que pourrait représenter l’élaboration d’un statut des directeurs d’écoles primaires. Or, de ce point de vue, le rapporteur, tout en étant conscient que, selon un sondage réalisé en 2006, 93 % des directeurs interrogés seraient favorables à un nouveau statut, reste persuadé qu’une telle mesure en soi ne permettra pas à l’école primaire d’améliorer ses performances éducatives ».
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« Il est illusoire de penser qu’à elle seule, la création d’un statut du directeur d’école suffira à améliorer les résultats des élèves de l’enseignement du premier degré si, de son côté, le statut de l’école primaire, qui est aujourd’hui un service municipal, ne connaît aucune évolution.
En liant ainsi le bénéfice du statut du directeur à la création des EPEP, on peut penser qu’une bonne partie des directeurs d’école soutiendraient la mise en place de ce qui devrait être un instrument efficace de réorganisation de l’école primaire ».
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« Quant au directeur de l’EPEP, il représenterait l’État au sein de l’établissement et exécuterait les délibérations du conseil d’administration ».
Il apparaît nettement que la loi proposée par les parlementaires vise, certes, à améliorer les « performances éducatives » mais que l’EPEP est « un instrument efficace de réorganisation de l’école ». Evoquant la mise en place des cycles, M. Reiss le dit clairement : un statut permettra de « faire entrer dans les faits une politique définie il y a plus de 15 ans ». Les pouvoirs donnés au directeur lui permettront d’asseoir son autorité sur son équipe. Il fait même allusion à une « autorité hiérarchique » dont « l’absence est l’une des explications de l’échec de la politique décidée par les pouvoirs publics, notamment dans le domaine pédagogique ».
Bref, il est évident que la création d’EPEP telle que proposée par les députés n’a pas pour seule ambition de régler le problème de la direction d’école. M. Reiss « reste persuadé qu’une telle mesure en soi [création d’un statut de directeur] ne permettra pas à l’école primaire d’améliorer ses performances éducatives ».
L’objectif est avant tout de redistribuer une partie des attributions des IEN aux acteurs de terrain avec l’assurance ou l’espoir d’une meilleure mise en œuvre des politiques éducatives…
Le débat reste entier. Il nous appartient de tout faire pour convaincre les pouvoirs publics de la nécessité de créer des établissements publics tout en prenant davantage en compte les aspirations des directeurs d’école.